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La loi sur l’aide à mourir est un saccage des soins palliatifs

Joël CECCALDI

En décidant de mettre les soins palliatifs dans le même sac que le suicide assisté et l’euthanasie, c’est leur mise à sac que le législateur organise. Loin de les promouvoir, il les sacque au profit d’une « aide à mourir » qu’au passage il a désactivée, sans doute pour la rendre plus convenable aux yeux de tous. Au lieu d’en fortifier l’image et d’en favoriser l’exercice et l’acculturation, il saccage des soins palliatifs préalablement édulcorés en « soins d’accompagnement » par le rapport Chauvin. Voici pourquoi et comment.

Ce fourre-tout de l’aide à mourir, c’est aussi celui de la fin de vie — peu importe le terme, moyen ou court. Ainsi associés de force au clap de fin dans ce projet de loi, les soins palliatifs voient d’un coup réduits à néant leurs longs et patients efforts déployés depuis des années pour arriver à décoller d’une mort hideuse l’image qu’ils ont aux yeux et de la société et des autres soignants. Pour changer leur perception par les usagers, mais aussi et surtout pour pouvoir mettre à la disposition de tous de quoi apaiser douleur et symptômes pénibles dès qu’ils se produisent, les professionnels de soins palliatifs sont en effet soucieux d’offrir leurs services le plus tôt possible après le diagnostic d’une maladie grave, sans attendre une éventuelle évolution défavorable malgré le traitement mis en œuvre — lequel peut d’ailleurs générer lui aussi des effets secondaires, à soulager sans délai. En liant dans le même temps ultime l’offre de soins palliatifs à celle d’un suicide assisté ou d’une euthanasie, ce projet de loi efface tout ce qui était mis en place pour leur accessibilité plus en amont dans l’histoire d’un mal potentiellement mortel. Et voilà comment le rocher d’un accès plus précoce à un soulagement plus accessible redévale avec ce texte une pente si pénible à gravir.

Ce n’est pas tout. Dans son avis déclencheur n° 139, le comité consultatif national d’éthique (CCNE) envisageait l’option d’une « aide active à mourir » si et seulement si le droit aux soins palliatifs légalement promu depuis 1999 devenait d’abord une réalité pour tous. Or ce projet amalgame un suicide assisté et une euthanasie immédiatement disponibles avec un accès pour tous à des soins palliatifs mais pas avant dix ans : renversement de ce qui avait été posé comme un préalable dans l’ordre de l’éthique, rendant au passage impossible l’évaluation de l’évolution de la demande sociétale d’en finir une fois offerte enfin à toutes et à tous cette approche palliative dont l’expérience de la mise en œuvre a déjà amplement montré qu’elle s’associe le plus souvent à un regain d’élan vital. Mais entre l’avis du CCNE et le projet présenté le 10 avril dernier s’insinue aussi un tour de passe-passe langagier : « l’aide active à mourir » qui ne désignait que suicide assisté et euthanasie est devenue une « aide à mourir » qui concerne désormais toutes les pratiques de fin de vie. Que signifie cette désactivation, sinon une euphémisation des actes qui abrègent une vie finissante, doublée d’une confirmation du caractère foncièrement inactif ou insuffisamment actif des soins palliatifs — d’où la nouvelle expression de « soins d’accompagnement » proposée par le rapport Chauvin paru entre-temps pour les désigner ?

Trois pratiques cohabitent et se chevauchent peu ou prou dans notre monde sanitaire et médicosocial : le traitement d’une maladie ou d’un symptôme ; le soin d’un malade, qui guérira ou pas, qui survivra ou non avec et malgré son mal ; l’accompagnement d’une personne, malade ou pas, en fin de vie ou non. Pallier le manque de personnel dédié et formé en suscitant de nouvelles vocations grâce à un accès plus large du palliatif aux chaires universitaires et à une meilleure reconnaissance académique va probablement inciter les professionnels concernés à déporter leurs soins vers le traitement des symptômes pénibles, plus rémunérateur et tellement moins chronophage que l’accompagnement qui fait pourtant aussi partie de leur cahier des charges, mais que d’autres pourraient désormais assumer à leur place, si l’on en croit les préconisations du rapport Chauvin. Celui-ci détaille en effet tout le potentiel d’accompagnement que recèle notre société civile, entre aidants divers et accompagnants bénévoles regroupés dans des associations régies par la loi 1901, tout en ignorant carrément les ressources des services d’aumônerie pourtant prévus dès 1905 dans l’article 2 de la loi de séparation des Eglises et de l’État. Reste à préciser, avec ce glissement des tâches et des chevauchements, à qui incombera la mise en œuvre d’une loi nouvelle sur le terrain : la question de savoir si assistance au suicide et euthanasie font ou non partie du soin ne va-t-elle pas se trouver déportée du champ du soin vers celui de l’accompagnement ?

Finalement, les soins palliatifs censés faire l’objet d’une promotion tous azimuts se retrouvent bel et bien saccagés, plus que jamais enfoncés avec ce projet de loi dans son état actuel. Relégués en fin de vie alors qu’ils pourraient donner leur pleine mesure bien avant. Mélangés sans façon avec des actes qui abrègent la vie au lieu d’en respecter le cours, tant et si bien qu’aux raisons déjà nombreuses pour les éviter, s’ajoutera celle de craindre l’exposition à une euthanasie subreptice sous couvert d’une approche palliative officielle. Ecartelés entre une image d’inactivité et une injonction à agir davantage sur la douleur et les symptômes tout en déléguant à d’autres l’accompagnement qui fut pourtant au cœur de l’engagement des pionniers.

 « Mal nommer les choses, c’est contribuer au malheur du monde », entend-on ici et là : s’étonnera-t-on que cet écho de Camus continue de résonner comme une antienne si nous ne cessons pas de jouer sur les mots au moment où nous nous apprêtons à bouleverser notre rapport millénaire à la vie et à la mort ? Et si le suicide est le seul véritable problème philosophique, il faut alors s’interroger : de quoi est faite cette pierre — philosophale ou tout simplement pétrie d’humus humain — qu’à l’instar de Sisyphe, nous sommes encore et toujours en train de rouler sur une pente plus glissante que jamais ?

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