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FINS DE VIE : Et si nous en parlions en lisant les textes qui préparent les changements de la loi ?

Jacques FAUCHER*, Grégoire CLEIREC*, Pierre BARBET*, CAREB*

Prochaine date d’atelier : mardi 5 mars 2024, 121 rue Quintin, Bdx

Lien zoom : https://us02web.zoom.us/j/81229536184pwd=RldjVC9Vc29kOTJxZHQray9DSEFldz09

1. Avec les 27 personnes en présentiel et les 12 en visio, nous avons accueilli les nouveaux participants (usagers, professionnels de la santé en activité ou à la retraite, membres d’associations, responsables institutionnels, accompagnateurs de familles en deuil, visiteurs de malades, avec plein de questions), et trois personnes (1 en présentiel, 2 en visio) ayant participé à la Convention citoyenne CESE sur la fin de vie[1]. Ce fut l’occasion d’écouter des témoignages directs de la Convention. Ils ont témoigné de leur chance d’avoir été appelé, d’avoir passé 9 week-ends avec 184 conventionnels de 18 ans à 80 ans, un peu plus d’hommes que de femmes, de toutes les catégories socio-professionnelles. Ils ont vécu une expérience très forte de respect entre les gens, d’écoute, d’attention portée aux uns et aux autres, quelles que soient la parole et les opinions de chacun. Il n’est pas possible de passer 9 week-ends comme ceux-là sans que quelque chose reste, tant sur un plan personnel que collectif : « Nous avons gardé des liens entre nous. »

2. Puis nous avons passé un long temps d’échanges à la suite de la lecture du premier paragraphe du compte rendu du 20 décembre 2023. Des questions déjà évoquées ont resurgi : Quand commence la fin de vie ? Comment évaluer le temps qui reste à vivre ? Qui peut affirmer qu’une personne en a pour quelques semaines, quelques mois ? Les trois conventionnels ont affirmé que cette question a été tout le temps soulevée.

Comment les personnes sont-elles informées ? Nous ne disposons pas de statistiques sur les Directives Anticipées (DA), la Sédation Profonde et Continue Jusqu’au Décès (SPCJD). Celle-ci est toujours une proposition pour les personnes qui ne peuvent plus continuer à cause de trop grandes souffrances. Rappelons qu’il y a une inégalité    en soins palliatifs, il peut y avoir des soins palliatifs dans d’autres services (médecine, gérontologie, EHPAD). C’est pour cela que la première partie du rapport de la Convention insiste sur la mise en place de soins palliatifs et d’accompagnement avec les 4 piliers : refus de l’obstination déraisonnable, Personne de Confiance, Directives anticipées, SPCJD.

Certains modèles de Directives anticipées ne sont pas assez précis. Où ces données de l’expression du patient pourraient être conservées : dossier médical ? carte vitale ? compte Ameli de l’assurance maladie ?

La question de l’information est importante. Trop souvent, il s’agit d’indications sur ce que la personne souhaite ou ne souhaite pas sur des pratiques médicales. Or chacun a une histoire personnelle à vivre, à raconter : « J’ai commencé à rédiger, mais je suis en panne car j’aurais besoin de précisions, j’aurais besoin d’être accompagné. » Dans certains établissements sont proposés des ateliers de rédaction de ces Directives ou des consultations dédiées proposées par le médecin coordonnateur avec une autre personne. Il est ainsi utile d’aider, d’accompagner, en reprenant les textes juridiques, en voyant comment ils sont construits, pour dire ou ne pas dire, hésiter, dire que je vais les rédiger, accepter de ne pas les rédiger, remettre à plus tard, reprendre après quelques temps en prenant le temps d’écouter les personnes. Tout cela est essentiel pour que par la délibération, au moment qui devient crucial, soient pris en compte la volonté de la personne, ce que dit l’entourage, les circonstances dans lesquelles on se trouve (âge, gravité, compréhension). En médecine, en droit, dans l’administration, en économie, on voudrait mettre les gens dans des cases où nous aurions automatiquement la réponse. Dans pas mal de cas, on peut avoir l’impression que cela convient au parcours de l’autre. Or le chemin de chacun est unique, et l’on n’est pas sûr d’être dans la bonne case… le cas ne rentre pas dans la case.

Il est probable qu’une loi ne va pas résoudre l’ensemble des questions. Quand on rentre dans le concret des situations, chacune est originale, avec des parcours singuliers.

Pendant la Convention, il y avait des petits groupes de 10 personnes, puis des groupes plus grands de trente personnes, puis des débats en hémicycle. Les groupes étaient redistribués pour rencontrer des personnes différentes dans un processus de décision partagée : « Nous avons pris le temps de nous écouter dans le respect. Nous avons auditionné 70 personnes. Après leurs interventions, nous allions discuté avec eux et nous découvrions la face cachée de la réalité. Ce n’était pas évident, surtout du côté humain, ce n’était pas facile pour eux. Nous avons toujours assuré le respect de chaque soignant, “son droit de retrait”, la clause de conscience. Pendant la Convention, des journalistes qui nous demandaient ce que l’on souhaitait, si nous étions pour ou contre. Mais pour la plupart d’entre nous ce n’était jamais ça. »

Des conventionnels ont visité la Maison Jeanne Garnier, la “Rolls” des Soins palliatifs où sept personnes les ont accueillis (médecin, infirmières, aides-soignants, directrice). Ils ont découvert qu’y interviennent aussi une centaine de bénévoles d’associations, ayant suivi une année de formation.

Régulièrement la clause de conscience est interrogée, remise en question, mais rappelée et confortée par les plus hautes instances nationales et européennes. Quand les gens sont bien pris en charge dans la douleur, les demandes d’euthanasie sont très rares. Mais pour les réflexions éthiques, il faut du temps dédié, pas facile à dégager.

La mort échappe aux familles, car les membres de ces familles ne sont pas dans la même temporalité : « Quand on est porteur de maladie génétique, que l’on a un cancer ou un Alzheimer, se posent des questions personnelles qui sont réelles et non plus virtuelles : qu’est-ce qu’il advient ? comment vais-je me comporter ? pourrais-je recourir aux soins palliatifs ? l’euthanasie est-elle une solution ? je n’ai pas de religion faite en la matière… il y a une réflexion qui vient… est-ce qu’à un moment je perds l’interaction sociale ? que faire avec des gens qui ne me reconnaissent plus… entre les soins palliatifs et la nécessité d’anticiper un peu… dans le respect la clause de conscience des professionnels ? quelle liberté de choix peut avoir le malade ? il faut qu’elle soit consciente et pleine et non dans une visée eugéniste… avec la possibilité de changer d’avis… »

Les sociologues nous alertent sur le fait qu’il y a des conformismes sociaux. Dans la région, il y a un monsieur avec une maladie de Charcot qui est désormais dans l’incapacité de communiquer, sous respirateur depuis des années, avec toutes les questions de prises en charge professionnelles, économiques, la fatigue des familles, des équipes… Les conceptions de la “bonne mort” d’une société influencent les décisions des soignants, des malades ou de leur entourage. Et il n’est pas toujours facile de discerner où est la liberté de choix ou plutôt le conformisme de la pensée dans telle ou telle société.

Pour beaucoup, la grande peur est d’être abandonné. Il est des personnes en révolte, qui ne veulent pas mourir… Et il est important que des personnes soient présentes seulement au nom de l’amitié, de la solidarité. Rappelons que l’avis 139 du CCNE met en avant deux principes éthiques : autonomie et solidarité.

3. Après une heure d’échanges nous sommes passés à l’examen des critères proposés par le Rapport sur les situations donnant accès à l’aide active à mourir (AAM).

La volonté du patient est envisagée en premier : le discernement, l’incurabilité, le pronostic vital engagé, les souffrances (réfractaires, physiques, psychiques, existentielles), l’âge. De plus sont proposés des garde-fous et des mécanismes de contrôle.

Des modalités de mise en œuvre sont proposées : l’écoute de la demande, qui doit garantir que la volonté exprimée est libre et éclairée, un accompagnement médical et psychologique complet incluant une évaluation du discernement de la personne, une validation soumise à une procédure collégiale et pluridisciplinaire, une réalisation encadrée par le corps médical (même dans le cas d’un suicide assisté), dans un lieu choisi par la personne (une structure médicale, le domicile, un EHPAD…) et dans le respect de la clause de conscience des professionnels de santé. Une commission de suivi et de contrôle est demandée pour s’assurer du respect de la procédure définie.

Suggestions à débattre pour une suite :

Quand la mort apparaît, d’autres dimensions émergent : le mourir, les expériences et les représentations de la mort de chacun et de la société, la mort comme tabou ou/car force vitale pour les vivants, oser parler de l’agonie, de la succession des générations, etc. Dans les parcours de décision proposées par la Convention (voir ci-dessous), où sont les dimensions autres que médicales et psychologiques : sociales, philosophiques, existentielles, religieuses… Quelles sont les personnes, les associations, déjà présentes ou à inviter pour soutenir ces réflexions : bénévoles d’accompagnement, aumôneries, philosophes, artistes, poètes, etc. ?

Le Rapport propose des critères généraux de discernement pour prendre quelques distances vis-à-vis de situations où l’émotion est très forte, les imaginaires très agissants. Dans nos échanges, les personnes (patients, proches et soignants) rapportent des situations singulières qui ne rentrent pas très bien dans les cases médicales et juridiques théoriques. Nous pourrions travailler sur des propositions permettant aux personnes concernées de raconter leur histoire, prendre le temps et les accompagner pour rédiger leur biographie, inviter les uns et les autres à les lire et à les écouter, réaliser des procédures collégiales vraiment pluridisciplinaires qui prennent en compte les vécus, les avis et les compétences de chacun. De même il serait opportun d’inviter les professionnels et les proches à s’interroger pourquoi ils sont là, ou pourquoi ils sont en difficulté, afin que chacun entende quelque chose de la biographie de l’autre… et ne se retranche pas derrière des critères objectifs certes nécessaires mais qui risquent d’esquiver la rencontre de l’autre (que je peux être aussi à moi-même) dans l’ambivalence entre le désir (d’en finir, de mourir, de continuer) et la volonté (de passer à l’acte ou de le remettre à plus tard) ; tout en stimulant la capacité d’inventer d’autres voies, d’autres fins… avec qui ? comment ?

Qui peut dire que je ne veux pas ce que je veux ?


[1] 184 citoyens.nes, 27 jours (9 sessions de 3 jours, du 9 décembre 2022 au 2 avril 2023), 65 propositions collectives. Voir Annexe 4 du Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie, avril 2023, p. 105-107. Voir dans Parcours d’information sur la fin de vie (décembre 2022), le corpus documentaire mis à disposition de la Convention citoyenne sur la fin de vie par le Centre national fin de vie- soins palliatifs.

*Pierre BARBET, avocat honoraire, DU d’éthique médicale 

*Grégoire CLEIREC, médecin

*Jacques FAUCHER, médecin et chercheur en bioéthique

*CAREB : Collectif Aquitain de Réflexion sur l’Éthique Biomédicale

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